L’Espagne, les Juifs et Israël


par Olivier YPSILANTIS

L’antisémitisme espagnol offre certaines particularités. Je ne les passerai pas en revue dans le présent article (qui prend appui sur une étude de Gustavo D. Perednik) et ne m’arrêterai que sur une  seule d’entre elles — la plus particulière de ces particularités.

Pour nombre d’Espagnols, l’antisémitisme n’existe tout simplement pas dans leur pays. On pourrait parler d’ingénuité. Lorsque Javier Solana a déclaré qu’il n’y avait pas d’antisémitisme en Europe,  provoquant la colère de certains, je reste convaincu qu’il ne donnait pas dans la provocation et qu’il était parfaitement sincère, peu lucide mais sincère. Pour les Espagnols, l’antisémitisme est  exclusivement lié au nazisme.

Les Espagnols expriment plutôt ouvertement leurs sentiments, y compris les moins amicaux, et pas seulement envers les Juifs et Israël. Je vis en Espagne depuis bientôt vingt ans et j’ai pu observer  ce phénomène dans des milieux très divers, populaires et diversement bourgeois.

Les Espagnols distinguent rarement entre Israël et «les Juifs». Ils ont donc la fâcheuse tendance à croire que l’antisémitisme est provoqué par l’État d’Israël. A ce propos, signalons que l’Espagne  a été le dernier pays occidental à établir des relations diplomatiques avec Israël, en 1986. Pourtant, lorsque la chose les arrange, les Espagnols (et ils ne sont pas les seuls) établissent une  nette distinction entre Israël et «les Juifs» ; et  ils concluent tout  naturellement que l’antisionisme, y compris le plus radical, ne revient pas nécessairement à attaquer «les Juifs» ; autrement dit, qu’il ne relève pas nécessairement de l’antisémitisme.  Dans son livre, «El antisemitismo en España. La imagen del judío (1812-2002)», l’auteur, Gonzalo Álvarez Chillida, ne parvient pas — et en toute bonne foi, semble-t-il — à démêler les préjugés  contre les Juifs et les dénonciations contre Israël.

Les attaques contre Israël (généralement sous forme de perfidie) ne sont pas rares dans la presse espagnole. Citons cet article d’un journaliste réputé, Enrique Curiel, publié dans «La Razón» du 20  avril 2003 et intitulé «El nombre del problema es Israel». Je ne m’étendrai pas sur ce genre de littérature qui est toute entière activée par la théorie du complot : ce journaliste laisse entendre  que l’Intifada est le résultat d’un complot ourdi par Georges W. Bush, Ehud Barak et Ariel Sharon. J’ai personnellement entendu, le 11 septembre 2001 (j’habitais alors à Cordoue), deux retraités  espagnols de mon quartier déclarer d’un air entendu que les attentats contre les Twin Towers était un coup du Mossad…

Je note que les attaques contre Israël, dans la presse espagnole (mais, une fois encore, il n’y a pas qu’elle), sont de plus en plus le fait de la gauche (du centre gauche, avec le PSOE et le  quotidien «El País», à l’extrême-gauche) qui ne cesse de rebondir en se masquant derrière la cause palestinienne afin de harceler Israël et le «lobby juif». Ce comportement est d’autant plus  ignoble que la gauche qui s’agite au nom de la solidarité avec les opprimés n’a jamais levé le petit doigt pour ces peuples qui luttent dans l’espoir d’avoir eux aussi leur État. Et je pense aux  Kurdes et aux Sahraouis pour ne citer qu’eux. Lorsque les Palestiniens se font massacrer sans qu’Israël puisse être mis en cause d’une quelconque manière (Septembre noir, en 1970), la gauche se  tait et se fait même toute petite. A droite, l’antisémitisme espagnol a plus directement à voir avec un certain terreau catholique. Le quotidien catholique et monarchiste «ABC» (fondé en 1903) a  longtemps donné dans un antisémitisme fortement teinté d’anti-judaïsme. Pourtant, je note un changement de ton toujours plus prononcé. C’est dans ce journal que je trouve aujourd’hui les articles  les plus franchement pro-israéliens, pro-sionistes. Il est vrai qu’on peut-être antisémite tout en étant sioniste. Mais ceci est une autre histoire. Je signale en passant une certaine ambivalence  envers les Juifs dans les milieux traditionalistes et «réactionnaires» espagnols. Le plus fervent partisan du retour des Séfarades en Espagne, Ernesto Giménez Caballero (1899-1988), fut l’un des  principaux idéologues du fascisme espagnol. Ci-joint, un riche lien (en espagnol) sur une étrange personnalité :

http://www.filosofia.org/ave/001/a018.htm

Nombre d’ignares me rétorqueront qu’il n’y a là rien d’étonnant dans la mesure où fascisme (et même nazisme) et sionisme ne font qu’un. Que ces ignares étudient !

L’argumentation antisémite et anti-israélienne espagnole ne met en œuvre aucune théorie particulière, elle suit une ligne générale, moyenne, européenne. Il y a certes ici et là des petits gestes  qui en disent long. Par exemple, lorsque le président du Gouvernement Felipe González en visite à Yad Vashem (en décembre 1991) refusa de se coiffer d’une kippa et préféra une casquette de baseball  — ou de yatchman, je ne sais plus.

Le plus grand nombre de perfidies lâchées en direction d’Israël est à présent le fait de «El País» (un journal centre-gauche fondé en 1976) dont le modèle fut le quotidien français «Le Monde». Le  côté Sainte Nitouche de cette publication sait favoriser des grossièretés particulièrement massives du genre de celle que nous a servie Gema Martín Muñoz dans le numéro du 27 janvier 2003. Il y  déclare qu’Ariel Sharon avait planifié la «Solution finale de la question palestinienne». Parmi les poids-lourds de l’antisémitisme-antisionisme en Espagne, Javier Nart Peñalver (né en 1947) qui  répète à qui veut l’entendre, tant à la radio qu’à la télévision, qu’Israël est le principal problème du monde moderne.

Heureusement, l’Espagne a une femme comme Pilar Rahola, journaliste de gauche qui dénonce l’antisémitisme de gauche avec une énergie comparable à celle d’Oriana Fallaci. Gustavo D. Perednik  remarqua que tandis que la presse allemande et anglaise évoquaient le «massacre de Jénine» (avril 2002) comme une éventualité, la presse espagnole en faisait une certitude. Il est vrai qu’accuser  Israël de tous les crimes relève du réflexe. Et c’est bien la difficulté que posent l’antisémitisme et l’antisionisme. Le mot «Juif» ou le mot «Israël» déclenchent des réactions comparables à  celles que Pavlov a pu observer chez les chiens. Je n’insisterai pas sur certains détails. On se souviendra toutefois de ce cadavre exhibé sur la chaîne Telecinco et  censé constituer une preuve dudit «massacre». On se souviendra de l’acteur Jorge Sanz (né en 1969) qui tout en pleurnichant devant les caméras sur les indicibles souffrances endurées par la  population de Gaza, louait la noblesse du combat mené par les terroristes palestiniens. Signalons au passage que lorsqu’il fut avéré que ce «massacre» n’était qu’un pur produit de propagande,  personne ne présenta d’excuses. On a pris l’habitude de s’essuyer les pieds sur le Juif et sur Israël. L’affaire Mohammed al-Durah (30 septembre 2000) n’est pas un cas isolé ; elle procède d’un  terreau particulier.

lire la suite de cet article très documenté http://zakhor-online.com/?p=2432

source : danilette

L’Espagne, les Juifs et Israël

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